178. Lumières et richesses du Léman. 2/4


2/4. La littérature n'est pas en reste pour chanter le Léman. Jean-Jacques Rousseau lui gardera un profond attachement : «L'instant où, des hauteurs du Jura, je découvris le lac de Genève fut un instant de ravissement et d'extase», fait-il dire à son Saint-Preux dans La Nouvelle Héloïse, publié en 1761. Et il explique comment il a choisi le cadre du Léman pour son roman épistolaire :  « Pour placer mes personnages dans un séjour qui me convint, je passai successivement en revue les plus beaux lieux que j'eusse vus durant mes voyages. Je songeais aux Îles Borromées mais j'y trouvai trop d'ornement et trop d'art pour mes personnages. Il me fallait cependant un lac et je finis par choisir celui autour duquel mon cœur n'a jamais cessé d'errer. Le contraste des positions, la richesse et la variété des sites, la magnificence, la majesté de l'ensemble, qui ravit les sens, émeut le cœur, élève l'âme achevèrent de me déterminer et j'établis à Vevey mes jeunes pupilles.»

Véritable best-seller du XVIIIe siècle, le livre provoque un engouement romantique sans précédent pour les sites Lémaniques évoqués. Les lettrés vont accourir de toute l'Europe ; on les appellera les Pèlerins de Meillerie. Lord Byron et le poète Percy Shelley lancent le mouvement, visitent Montreux, le château de Chillon, et manquent de se noyer près de Meillerie). «J'aime le Léman et sa nappe de cristal, miroir où les montagnes voient reproduire leur image tranquille dans la profondeur de cette eau limpide» écrit Byron. Installé à la Villa Diodati de Cologny, il défie ses amis Shelley et Mary Godwin, future Mary Shelley, d'écrire une histoire de fantômes pour passer le temps lors de l'été glacial et pluvieux de 1816. C'est ainsi que la toute jeune femme crée Frankenstein face au lac, transformé par un orage en « une immense nappe de feu ».

Si le poème le plus célèbre d'Alphonse de Lamartine, Le Lac, prend pour cadre à sa mélancolie le lac du Bourget, le poète donnera aussi un Ressouvenir du lac Léman (1842) avec des accents d'un romantisme échevelé :

« Pour moi, cygne d'hiver égaré sur tes plages,
Qui retourne affronter son ciel chargé d'orages,
Puissé-je quelquefois, dans ton cristal mouillé,
Retremper, ô Léman, mon plumage souillé !»

Il y salue ses illustres prédécesseurs dans les pas desquels il met les siens : Je vois d'ici verdir les pentes de Clarens / Des rêves de Rousseau fantastiques royaumes ... » et plus loin : « Byron, comme un lutteur fatigué du combat / Pour saigner et mourir, sur tes rives s'abat ».

Goethe, Chateaubriand, Stendhal aussi font le pèlerinage de Meillerie et celui-ci, sur l'autre rive, s'extasie même s'il semble un peu perdu : «Comment rendrais-je le ravissement de Rolle? […] A Rolle, ce me semble, arrivé de bonne heure, ivre de bonheur de la lecture de La Nouvelle Héloïse et de l'idée d'aller passer à Vevey, prenant peut-être Rolle pour Vevey, j'entendis tout à coup sonner en grande volée la cloche majestueuse d'une église située dans la colline […]. Là, ce me semble, a été mon approche la plus voisine du bonheur parfait. […] Enfin je revois ce beau lac, si vaste, si magnifiquement entouré! Il donne des idées moins sérieuses, moins sublimes si l'on veut, mais plus tendres que la mer véritable.»