49. Le Léman : "le Maître Elément" (2/2)

In « Bulletins du Sauveteur » N°18/avril 2001, N°19/novembre 2001 et N°20/avril 2002)
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2. Du point de vue que j'entends illustrer aujourd'hui, il faut tirer trois commentaires essentiels de l'engouement des romantiques et des autres pour le lac Léman.
Premier commentaire : D'un coup, le maître-lac, son site, sa beauté, sa grandeur saisissent. Je ne prétends pas qu'il n'en a jamais été de même auparavant. Je reste convaincu que les honorables habitants de Lousona devaient éprouver des sentiments admiratifs dans la contemplation des eaux et des montagnes allobroges. Au reste, des témoignages laudatifs, bien antérieurs aux émotions de M. Rousseau sont parvenus jusqu'à nous. Mais jamais le mouvement n'a eu cette ampleur, jamais les curiosités géniales ne se sont portées en si grande migration sur nos rives et jamais tant de livres majeurs n'ont porté le Léman à la célébrité universelle.
L'unité lémanique, si nous avons éprouvé quelque peine à la découvrir au travers des activités humaines dont j'ai parlé tout à l'heure, ici est présente; elle claironne et elle rayonne. La poésie confère au lac son identité. Non pas du tout son uniformité - et rien ne situe mieux l'ébouriffante diversité du Léman, dans l'espace et dans le temps, que l'admirable description du tour du lac qu'entreprennent Byron et Shelley, en bateau à voile, le 23 juin 1816. Un lac dissemblable et toujours fidèle à lui-même. Ce lac que célèbrent encore, dans des circonstances fort proches, les Marins d'eau douce de Guy de Pourtalès, impitoyablement poursuivis par la "Faute de l'abbé Mouret" ...
Second commentaire : La grandeur et l'incomparable beauté du Léman. les écrivains et les poètes les révèlent aux riverains eux-mêmes, accoutumés depuis des générations à son commerce quotidien. Les riverains sauront tôt en faire leur profit.
Troisième commentaire : Le Léman devient lieu à la mode. à l'usage des colonels retirés de l'Armée des Indes, des Werther et des Saint-Preux, des Parisiens en peine de pleurer aux pieds des bosquets de Julie, des jeunes filles de famille assouvissant leurs virtualités romantiques dans la contemplation des terrifiants rochers de Meillerie.
Il faut accueillir tant de visiteurs fortunés, leur construire des palaces où ils échapperont aux rigueurs hivernales des plaines d'Allemagne ou aux brouillards anglais, leur donner des chemins de fer et des funiculaires pour qu'ils connaissent le frisson des sommets, de luxueux vapeurs-salons, des instituts où faire l'éducation de leurs illustres rejetons et des hôtels encore, lorsqu'on décide de suivre de près leurs progrès en internat.
Voici Montreux, l'archétype de cette révolution, offrant, en 1835, deux modestes hôtels et 60 lits et, en 1890, 57 hôtels et 2600 lits.
Cette fantastique convergence de touristes, les transformations qu'elle déclenche dans la silhouette des rivages lémaniques, nous la devons essentiellement au Léman, cause de la profonde mutation socio-économique qui marque toute la région dans les années d'avant quatorze.
Pour copie conforme du texte de Jean-Pascal Delamuraz : Benjamin Monachon