40. Alphonse de Lamartine (4/4)


Ressouvenir du lac Léman
A Mr Hubert Saladin. 1862

4. Huber, que ce grand nom, que ces ombres si chères
Agrandissent pour vous le pays de vos pères !
Rebandez le vieil arc que son poids détendit :
On resserre le nœud quand le faisceau grandit.
Dans le tronc fédéral concentrez mieux sa sève ;
La tribu devient peuple et l’unité l’achève !
Que Genève à nos pieds ouvre son libre port :
La liberté du faible est la gloire du fort.
Que, sous les mille esquifs dont les eaux sont ridées,
Palmyre européenne au confluent d’idées,
Elle voie en ses murs l’Ibère et le Germain
Échanger la pensée en se donnant la main !
Nid d’aigles élevé sur toute tyrannie,
Qu’elle soit pour l’exil l’hospice du génie,
Et que ces grands martyrs de l’immortalité
Lui payent d’un rayon son hospitalité !
Pour moi, cygne d’hiver égaré sur tes plages,
Qui retourne affronter son ciel chargé d’orages,
Puissé-je quelquefois, dans ton cristal mouillé,
Retremper, ô Léman, mon plumage souillé !
Puissé-je, comme hier, couché sur le pré sombre
Où les grands châtaigniers d’Évian penchent l’ombre,
Regarder sur ton sein la voile de pêcheur,
Triangle lumineux, découper sa blancheur ;
Écouter attendri les gazouillements vagues
Que viennent à mes pieds balbutier tes vagues,
Et voir ta blanche écume, en brodant tes contours,
Monter, briller et fondre, ainsi que font nos jours !…
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Illustration : Nernier. Au bord du lac, la maison où séjourna Lamartine
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