44. Un autre poème de Jacques Herman


Le Lac Léman

Dites-moi
Regardez-vous souvent
Ce velours bleu du lac Léman
Ces semi-transparences
Qui vous séparent de nous
Et qui pourtant relient
La Suisse à la France
Dites-moi
Regardez-vous parfois
À la tombée du jour
Le soleil couchant du côté du Jura
Qui entraîne avec lui
Des histoires d'amour
Dont nous ne parlons pas
Et demain dès la première heure
De l'aube entre vous et nous
Nous reverrons des bateaux qui filent
Les voiles gonflées
Par un vent si doux
Qu'ils semblent avancer
À contre-coeur

43. Léman : notre Méditerranée à nous


Léman «Notre Méditerranée à nous»
par Antoine Duplan

Miroir de l’âme, berceau d’une civilisation, il est le lac préféré des poètes romantiques, des musiciens de jazz et des amateurs de filets de perche. Tous pêchent l’inspiration aux eaux du bleu Léman.
Ô toi, habitant de La Côte ou de Lavaux qui rentres après un séjour dans la sombre Suisse allemande, ô toi touriste japonais qui abordes notre beau pays via Kloten. Ton train a traversé de mornes faubourgs, de monotones campagnes. Et tandis que tu descends vers le sud, une lumière prodigieuse grandit dans le ciel qui attise ton exaltation comme la promesse d’une fontaine excite la soif. Soudain le train débouche sur l’adret lémanique! Alléluia! Le Léman s’offre comme l’albatros ouvre ses ailes. C’était l’hiver à Palézieux, c’est déjà l’été sur Lavaux. C’était la Ruhr, voici la Toscane… Ramuz déjà éprouvait ce ravissement ferroviaire: «Quand on sort du tunnel de Chexbres, on est d’abord dans l’éblouissement. On vient de quitter la lumière adoucie et terne qui est celle des pays trop verts qu’assombrissent les sapins (...) On est sur le flanc d’une immense conque dont les parois sont revêtues d’azur et l’intérieur en est occupé par une espèce de brume blonde dont on ne sait d’où elle vient, étant partout. Car ici, est-il dit, nous avons deux soleils, et c’est à l’eau qu’on doit le vin.»

Miroir de l’âme.

Ces 582 km2 de surface aquatique s’inscrivent dans l’histoire. La chronique du Léman abonde en anecdotes. Des drames, comme l’explosion de la chaudière du Mont-Blanc à Ouchy en 1892, 22 victimes. Des pêches miraculeuses comme les 700 kilos de féras ferrées à Meillerie en 1896. Des exploits comme le vol Saint-Gingolph-Genève accompli par Armand Dufaux en 1910 ou les plongées du Mésoscaphe à l’Expo 64. Des histoires fantastiques comme l’excommunication que l’évêque de Lausanne prononça en 1300 contre les anguilles... Davantage que le plaisir de ces péripéties pour almanach, le lac Léman est un miroir de l’âme où se reflètent le jet d’eau de Genève et la fourchette de l’Alimentarium, le Château de Chillon et les Dents-du-Midi, le vigneron qui monte à sa vigne et le siège des multinationales, les petits préaux chantés par Emile Jaques-Dalcroze et la statue de bronze de Freddie Mercury, le clocher des églises et les divinités païennes de la Fête des Vignerons, les carrières de Meillerie et les papillons que chassait Nabokov, et le ciel immense qui joue à pile ou face avec les eaux comme dans les anamorphoses vertigineuses de Pietro Sarto...

Morceau de ciel.

«Toujours les lacs, morceaux de ciel égarés, sur terre, exciteront l’idolâtrie dans les âmes sensibles. Il n’en est point, probablement, qui l’ait fait autant que le Léman, ni qui pût réciter, si les eaux avaient de la mémoire, autant d’hymnes, d’élégies et de romances qui se sont épanchées au bord de ses flots, dans tous les idiomes du monde», ironise Paul Budry dans un texte consacré aux peintres du Léman. L’écrivain vaudois observe que le peintre du lac balance entre deux pôles périlleux, le pittoresque et la féerie. Et estime que seul Bocion a su rendre la poésie du lieu. «Notre Méditerranée à nous, petite mer intérieure avant la grande» (Ramuz) s’impose à Rousseau par «la magnificence, la majesté de l’ensemble qui ravit les sens, émeut le cœur, élève l’âme» comme décor pour La Nouvelle Héloïse. Byron aime le Léman «et sa nappe de cristal, miroir où les étoiles et les montagnes voient reproduire leur image tranquille dans la profondeur de cette eau limpide». Cette grâce pénètre même la carapace des pires béotiens. Dans Emballage cadeau, lorsque le commissaire San-Antonio lui apprend que le lac Okeechobee (Floride) est environ quatre fois plus grand que le Léman, l’inspecteur Bérurier renâcle salement: «Compare pas, je te prie, c’t’espèce d’égout dégueulasse av’c le lac de Genève dont tout autour on trouve du vin blanc frais et des filets de perche.»

Ô bleu Léman.

Le théologien Eugène Rambert et le professeur Juste Olivier ont laissé leur nom à des rues lausannoises. En leur temps, ils versifiaient: «Ô vieux Léman, toujours le même, Bleu miroir du bleu firmament, Plus on te voit et plus on t’aime, Ô vieux Léman», entonnait le premier. Et le second de faire écho: «Ô bleu Léman, amours de tes rivages Miroir du ciel où tremblent les nuages De ma patrie ô suprême beauté.»Les poètes de passage dégainent aussi leur lyre: «Quant au Léman, c’est la mer de Naples, c’est son ciel bleu, ce sont ses eaux bleues, et plus encore ses montagnes sombres qui semblent superposées les unes aux autres, comme les marches d’un escalier du ciel», écrit Dumas. Et Hugo: «Cette magnifique émeraude du Léman enchâssée dans des montagnes de neige comme dans une orfèvrerie d’argent». Même les cygnes, ces oies dédaigneuses, chatouillent les plumes romantiques: «Pour moi, cygne d’hiver égaré sur tes plages / Qui retourne affronter son ciel chargé d’orages / Puissé-je quelquefois, dans son cristal mouillé / Retremper, ô Léman, mon plumage souillé!» sanglote Lamartine…Il est des manières plus subtiles d’évoquer le berceau lémanique qu’en faisant rimer «bleu» et «cieux». En témoignent La grande eau de Blok et Francioli, et La face cachée du Léman, l’exposition de Plonk & Replonk (lire encadrés). En témoigne aussi A la recherche du lieu de ma naissance (1990), «documentaire semi-autobiographique, semi-poétique, semi-fictionné» de Boris Lehman. Le cinéaste belge est né le 3 mars 1944, à la clinique de La Source, à Lausanne, où ses parents, fuyant la Pologne, puis la Belgique, avaient trouvé asile. A la fin de la guerre, ils sont repartis en Belgique. Boris Lehman a attendu quarante ans pour revenir dans la ville où il a vécu sa première année.
«Revenir sur un lieu sans souvenir c’était un acte symbolique. Le lac représentait tout ça, le lieu d’origine, le ventre de ma mère, mon nom (Léman/ Lehman)». Le film propose l’allégorie d’un homme qui descend à reculons, de la cathédrale au lac. Trouve-t-il l’apaisement dans les eaux pâles ? «Apaisement, je ne sais pas, médite Boris Lehman. Je dirai plutôt mélancolie. Le soleil ne brillait pas, le lac est souvent caché par la brume.» Le bleu Léman est parfois gris. Il agit sur la conscience du monde comme un imparfait Léthé.

Source : http://www.hebdo.ch/Leman_Cote_Lavaux_poetes_musiciens_474_.html

42. Rhône et lac Léman



Rencontre annuelle du Réseau Rhône à Nyon
Rhône et Lac Léman, patrimoine immatériel ?
18 novembre 2004

Qu’ils soient pêcheurs ou plaisanciers, naturalistes ou promeneurs, ceux qui fréquentent le Rhône et le Léman entretiennent forcément des relations privilégiées avec cet environnement aquatique. Qui se traduisent en toutes sortes de représentations, récits, traditions et autres expressions culturelles au sens large et qui se recomposent sans cesse « au gré des transformations du milieu et de la société ».
« Faune et flore, glaciers, lacs et delta, histoire de la navigation, métiers traditionnels du fleuve, aménagements des berges, construction de barrages, contes et légendes, cités riveraines, fêtes de l’eau, pêche et gastronomie… » : voilà un bassin fluvial aux mille et une richesses.
Décrire cet héritage vivant, le comprendre, le sauvegarder, le valoriser constitue l’une des tâches prioritaires des membres Réseau Rhône.
« Quels sens recouvre cette notion rapportée au Rhône et au Léman ? Comment ce patrimoine immatériel est-il appréhendé et considéré dans les actions de mise en valeur des territoires ? Doit-il faire l’objet de mesures particulières ? » Le colloque, on s’en doute, n’a pas généré de réponses définitives à ces interrogations. Mais il aura du moins ouvert quelques fenêtres sur un horizon qui appelle d’autres explorations.
Les lacs sont-ils des productions culturelles ? Le géographe Jean-Claude Vernex n’en doute pas. Leurs représentations font certainement partie de ces processus qui donnent du sens, alimentent la mémoire et fondent l’identité. Le regard que les artistes portent sur eux est donc d’un intérêt primordial.
Il est loin le temps des « beaux paysages lacustres » à la Rousseau. Peu à peu, peintres et poètes ont abandonné les « géographies sentimentales », sorti le lac des décors pittoresques où on l’avait emprisonné et en ont fait le motif principal de leur approche. Cette réinterprétation a connu plusieurs étapes, du lac gracieux et riant à ses jeux de lumière et ses effets de miroir, en passant par le sublime ou le sauvage, le majestueux et l’effrayant.
Cette culture du regard va tellement faire corps avec son objet qu’elle conduira le public à confondre sa perception du lac avec certaines descriptions quasi immortelles. Qui dit Lac du Bourget, pense Lamartine. Lac Léman, Ferdinand Hodler ou aujourd’hui Marcel Imsand, photographe. Une topophilie qu’ont su exploiter avec succès les premières affiches de la promotion touristique.
Cet imaginaire-là fait sans nul doute partie d’un patrimoine immatériel. Historiquement daté et socialement situé, note Jean-Claude Vernex, qui prévient qu’on aurait tort d’en rester là. Car le lac désormais n’est plus seulement objet de contemplation, mais aussi lieu d’action, de loisir, de recréation. Un nouvel imaginaire lacustre est en train de naître.
Jean-François Rubin, lui, porte sur les cours d’eau le regard du biologiste. Le patrimoine qu’il veut protéger est certes on ne peut plus concret et tient en un mot : biodiversité. Celle des poissons, amphibiens, végétaux, oiseaux et autres vivants. Le côté « immatériel » de son champ d’action, ce sont les mentalités des riverains, des pêcheurs en particulier.
Pendant longtemps, explique-t-il, on a considéré la faune piscicole uniquement sous l’angle de la ressource halieutique. On ne s’intéressait au poisson que parce qu’il procurait le plaisir de la pêche et de la table. On ne cherchait guère à le connaître de façon quelque peu scientifique, en tout cas beaucoup moins systématiquement que les fleurs et les oiseaux. L’une des meilleures illustrations de ce désintérêt est la multitude de noms vernaculaires locaux dont on affuble le poisson. Ce qui fait, par exemple, que le même individu s’appelle vengeron sur la rive suisse du Lac Léman et gardon sur sa rive française.
Le problème, selon Jean-François Rubin, c’est qu’en général les pêcheurs ne parlent donc généralement des poissons et des rivières qu’en termes d’intérêts économiques et de repeuplements. Il y a en Suisse une soixantaine d’espèces de poissons. Cinq représentent des produits commercialisables et sont gérées dans ce but, mais on se désintéresse largement de toutes les autres.
Penser les cours d’eau en termes de milieux de vie procède d’une autre mentalité : c’est la seule manière de s’attaquer aux vrais problèmes, en impliquant une foule d’acteurs et non seulement des pêcheurs, avec une efficacité à long terme. « La rivière ne s’arrête pas là où on n’a plus les pieds mouillés » : si l’on s’intéresse vraiment au poisson, il faut alors développer la qualité de son environnement qui est aussi celui de nombreuses espèces végétales et animales.
Et cette sauvegarde de l’intégralité du patrimoine naturel passe forcément par une révolution des mentalités et des manières de se comporter à son égard. Ce qui, somme toute, fait aussi partie de la définition du patrimoine immatériel.
En matière de patrimoine, où donc passe la frontière entre le tangible et l’immatériel ? Carinne Bertola, conservatrice du Musée du Léman, la juge pour le moins arbitraire. Pour elle comme pour ses collègues qui s’efforcent d’inventorier, de conserver et de valoriser les héritages de l’humanité, comment imaginer en effet un musée sans objets, matières et formes ?
Grâce aux nouvelles technologies, l’immatériel y a sa place davantage que par le passé. L’image et le son permettent d’amener le public dans des problématiques lointaines ou invisibles. L’informatique offre un accès à toutes sortes de bases de données qui sont autant d’invitations à découvrir le savoir scientifique.
Un musée peut en tout cas participer à la valorisation des savoir-faire, à l’instar de l’exposition 2002 sur les « Dames du Lac, Figures de Proue du Léman ». Ce projet de fabriquer des répliques des décorations de bateaux en bois sculpté et doré à la feuille engendra des découvertes d’un autre âge chez des artisans bien d’aujourd’hui.
Pour Marie-Hélène Sibille, conservatrice du Musée de la Camargue, c’est le Rhône lui-même qui constitue l’objet immatériel central et paradoxal de l’espace qu’elle tente de remodeler. Car, dans le delta prisonnier de ses deux bras, le fleuve, pour ainsi dire, n’existe plus. Il n’y a plus que digues et canaux, étangs et marais. Le Rhône y est à la fois partout présent et absent. On n’en parle que lorsqu’il atteint sa cote d’alerte ou qu’il est trop tard pour reprendre le bac en fin de journée.
D’où son dilemme quant à la pertinence du patrimoine culturel à valoriser ? Les trésors de la langue provençale et les traditions arlésiennes de la Camargue d’hier ? Ou l’actuel savoir-faire des habitants du delta en matière de gestion hydraulique, de culture du riz, de production de sel et d’élevage extensif ?
Ce qui revient aussi à se demander si les efforts de conservation du patrimoine servent d’abord aujourd’hui à faire le deuil d’une époque révolue. Et lorsque des transformations durables de l’environnement se profilent à l’horizon, comme c’est le cas en Valais avec les projets de la troisième correction du Rhône, ne faut-il pas prendre les devants et sauver de toute urgence ce qui peut l’être ? Dans ce cas, la sauvegarde du patrimoine devrait être l’affaire de tous, et pas seulement de conservateurs de musées.

Bernard Weissbrodt

Source : http://www.aqueduc.info/spip.php?article284

41. Un poème de Jacques Herman


Le lac Léman

C'est ici la limite de l'eau
Au-delà s'envolent les Alpes
De la Haute-Savoie
Et les nuages seuls arrêtent leur élan

Il est seize heures à peine
Et le soleil d'hiver
Glisse déjà
Vers l'Occident
Il sombrera bientôt
Dans l'ondulement
Doux et tendre
Du Jura

La neige la nuit dernière
Est tombée mais il n'en reste
Qu'un peu vers ma gauche
Sur les Rochers de Naye
Et la Dent de Jaman

Le lac lentement
Se couvre de brume
Mon âme a pour l'instant
Le poids d'une enclume