Ci-dessus : lettre manuscrite de Lamartine
Ressouvenir du lac Léman
A Mr Hubert Saladin. 1862
2. Flèche d’eau du sommet dans le gouffre lancée,
La cascade en sifflant éblouit ma pensée ;
Comme un lambeau de voile arraché par le vent,
Elle claque au rocher, rejaillit en pleuvant,
Et tombe en pétillant sur le granit qui fume
Comme un feu de bois vert que le pasteur allume.
À peine reste-t-il assez de ses vapeurs
Pour qu’un pâle arc-en-ciel y trempe ses couleurs
Et flotte quelque temps sur cette onde en fumée,
Comme sur un nom mort un peu de renommée !…
[…] Ô poétique mer ! il est dans cet esquif
Plus d’un cœur qui comprend ton murmure plaintif ;
Qui, sous l’impression dont ta scène l’inonde,
Pour soulever un sein, s’enfle comme ton onde,
S’ouvre pour réfléchir, à l’alpestre clarté,
La nature, son Dieu, l’amour, la liberté ;
Et, ne pouvant parler sous le poids qui le charme,
Répand le dernier fond de toute âme… une larme !
Huber ! Heureux enfant de ces tribus de Tell,
Que Dieu plaça plus près des Alpes, son autel !
Des splendeurs de ces monts doux et fier interprète,
Âme de citoyen dans un cœur de poète !
Voilà donc ces sommets et ces lacs étoilés
Devant nos yeux ravis par ta main dévoilés !
Voilà donc ces rochers à qui ton amour crie
Le plus beau nom de l’homme à la terre : « Ô patrie !… »
[…] La Suisse est l’oasis de mon âme attendrie ;
J’y chéris mon berceau, j’y cherche une patrie !… »
Adore ton pays et ne l’arpente pas.
Ami, Dieu n’a pas fait les peuples au compas :
L’âme est tout ; quel que soit l’immense flot qu’il roule,
Un grand peuple sans âme est une vaste foule !
Du sol qui l’enfanta la sainte passion
D’un essaim de pasteurs fait une nation ;
Une goutte de sang dont la gloire tient trace
Teint pour l’éternité le drapeau d’une race !
N’en est-il pas assez sur la flèche de Tell
Pour rendre son ciel libre et son peuple immortel ?
Sparte vit trois cents ans d’un seul jour d’héroïsme.
La terre se mesure au seul patriotisme.
Un pays ? c’est un homme, une gloire, un combat !
Zurich ou Marathon, Salamine ou Morat !
La grandeur de la terre est d’être ainsi chérie :
Le Scythe a des déserts, le Grec une patrie !…
Autour d’un groupe épars de montagnes, d’îlots,
Promontoires noyés dans les brumes des flots,
Avec son sang versé d’une héroïque artère,
Léonidas mourant écrit du doigt sur terre
Des titres de vertu, d’amour, de liberté,
Qui lèguent un pays à l’immortalité !
Qu’importe sa surface ? un jour, cette colline
Sera le Parthénon, et ces flots Salamine !
Ressouvenir du lac Léman
A Mr Hubert Saladin. 1862
2. Flèche d’eau du sommet dans le gouffre lancée,
La cascade en sifflant éblouit ma pensée ;
Comme un lambeau de voile arraché par le vent,
Elle claque au rocher, rejaillit en pleuvant,
Et tombe en pétillant sur le granit qui fume
Comme un feu de bois vert que le pasteur allume.
À peine reste-t-il assez de ses vapeurs
Pour qu’un pâle arc-en-ciel y trempe ses couleurs
Et flotte quelque temps sur cette onde en fumée,
Comme sur un nom mort un peu de renommée !…
[…] Ô poétique mer ! il est dans cet esquif
Plus d’un cœur qui comprend ton murmure plaintif ;
Qui, sous l’impression dont ta scène l’inonde,
Pour soulever un sein, s’enfle comme ton onde,
S’ouvre pour réfléchir, à l’alpestre clarté,
La nature, son Dieu, l’amour, la liberté ;
Et, ne pouvant parler sous le poids qui le charme,
Répand le dernier fond de toute âme… une larme !
Huber ! Heureux enfant de ces tribus de Tell,
Que Dieu plaça plus près des Alpes, son autel !
Des splendeurs de ces monts doux et fier interprète,
Âme de citoyen dans un cœur de poète !
Voilà donc ces sommets et ces lacs étoilés
Devant nos yeux ravis par ta main dévoilés !
Voilà donc ces rochers à qui ton amour crie
Le plus beau nom de l’homme à la terre : « Ô patrie !… »
[…] La Suisse est l’oasis de mon âme attendrie ;
J’y chéris mon berceau, j’y cherche une patrie !… »
Adore ton pays et ne l’arpente pas.
Ami, Dieu n’a pas fait les peuples au compas :
L’âme est tout ; quel que soit l’immense flot qu’il roule,
Un grand peuple sans âme est une vaste foule !
Du sol qui l’enfanta la sainte passion
D’un essaim de pasteurs fait une nation ;
Une goutte de sang dont la gloire tient trace
Teint pour l’éternité le drapeau d’une race !
N’en est-il pas assez sur la flèche de Tell
Pour rendre son ciel libre et son peuple immortel ?
Sparte vit trois cents ans d’un seul jour d’héroïsme.
La terre se mesure au seul patriotisme.
Un pays ? c’est un homme, une gloire, un combat !
Zurich ou Marathon, Salamine ou Morat !
La grandeur de la terre est d’être ainsi chérie :
Le Scythe a des déserts, le Grec une patrie !…
Autour d’un groupe épars de montagnes, d’îlots,
Promontoires noyés dans les brumes des flots,
Avec son sang versé d’une héroïque artère,
Léonidas mourant écrit du doigt sur terre
Des titres de vertu, d’amour, de liberté,
Qui lèguent un pays à l’immortalité !
Qu’importe sa surface ? un jour, cette colline
Sera le Parthénon, et ces flots Salamine !