Quand le comte Philippe mourut en 1285 sans postérité, selon la règle de dévolution qui s'était déjà appliquée à deux reprises au cours du XIII° siècle, ses petits neveux, derniers représentants de la branche ainée, furent écartés au profit de leur oncle, Amédée V, fils de Thomas, comte de Piémont. Amédée avait été désigné par Philippe, désignation que ratifièrent les Etats à Chambéry sans pour autant mettre-fin aux rivalités familiales. Le nouveau souverain qui allait régner près de quarante ans et qui méritera d'être appelé Amédée le Grand, réussit très vite à se concilier ses neveux, prêts à s'unir à la coalition redoutable que reformait sans cesse l'expansion savoyarde. L'aîné Philippe conserva les droits de son père en Piémont qui fut constitué en apanage en 1294, et il fonda la branche de Savoie-Achaïe à la suite de son mariage avec Isabelle de Villehardouin, la fille du chroniqueur de saint Louis. Quant au frère du nouveau comte, Louis, il reçut les châtellenies du pays de Vaud. Mais Amédée V se réservait l'hommage des fiefs ainsi concédés, avec stipulation qu'ils ne pourraient être séparés du comté de Savoie. Les membres du lignage comtal étaient ainsi dans obligation de rester unis autour du chef de famille dans la situation périlleuse où se trouvaient leurs domaines aux frontières de l'Etat savoyard.
Avant même ce règlement familial, la lutte avec le Dauphiné, « la grande affaire du règne» avait repris, liguant contre la Savoie le nouveau dauphin, Humbert I, Amédée II de Genève et la grande Dauphine, Béatrice. Pour déjouer la coalition, Amédée V commença par accentuer sa pression sur Genève dont il soutint les citoyens contre l'évêque. De cette époque date la première organisation communale de la cité. Un futur prélat, témoin de ces événements, montre les habitants «constituant une assemblée nouvelle et insolite», établissant des recteurs de la ville, créant un sceau, s'emparant des clefs des portes, enfin levant des impôts. Amédée se saisit ensuite du château de l'Ile, puis se fit attribuer le « vidomnat », office de police et de judicature dont il confia la charge à son châtelain de l'Ile.
Dès les premières années de son règne, le comte de Savoie qui avait en outre accru ses Etats de la plantureuse Bresse, dot de son épouse Sybille de Bagé, avait donc su se ménager de puissants atouts. Fidèle aux traditions politiques de ses prédécesseurs, c'est bien au-delà des frontières qu'il s'acquit alors des alliés, mettant dans son jeu tour à tour l'empereur, le roi d'Angleterre et le roi de France. Se montrant d'abord inquiet des progrès de Philippe le Bel dans le royaume d'Arles et de Vienne, il se rapprocha par la suite de ce grand monarque et participa aux campagnes de Flandre de 1302 à 1304. Aussi dans les guerres successives qu'il eut à soutenir contre le dauphin, leurs fiefs s'enchevêtrant étroitement notamment dans le Viennois, Amédée conserva presque constamment l'avantage, imposant à la coalition après chaque affrontement des trêves qui lui étaient le plus souvent favorables.[…]. En dehors de sa forte implantation à Genève, Amédée V acquit de bonnes positions stratégiques en Faucigny et en Bugey, puis obtint au traité de Montmélian en 1308, la renonciation par Béatrice de Faucigny et par Hugues son petit-fils, à tout droit sur la Savoie. Les batailles que se livrèrent Dauphinois et Savoyards en Grésivaudan et en bas Dauphiné se terminèrent sous l'influence de la reine Jeanne de France, femme de Philippe le Long, par une trêve conclue à Gentilly, dans le château qu'y possédait le comte de Savoie.
Sur le plan de l'organisation intérieure, Amédée V, «qui prépara tout ce que réalisèrent ses héritiers», accomplit également une œuvre importante. Il ratifia le choix de son aïeul Thomas 1er pour l'établissement d'un centre fixe de gouvernement en acquérant le château de Chambéry en 1295, il multiplia l'octroi de chartes de franchises et de libertés aux communes de ses Etats, promulgua des statuts en 1318, enfin fut un des princes de son temps qui porta le plus d'intérêt aux lettres et aux arts.
Paul Guichonnet. "Histoire de la Savoie", page 167 à 169
Edouard Privat éditeur, 1973.