Quand la culture de la vigne a-t-elle été introduite dans notre pays ?
C'est une question difficile à résoudre; cependant la tradition nous rapporte que la vigne devait être déjà cultivée sur les bords du Léman à l'époque romaine. Une charmante légende nous a été transmise à ce sujet. On raconte qu'un jeune homme de Lavaux fut emmené en Italie par des légionnaires romains. Ayant eu la chance de trouver un charitable protecteur, cultivateur d'un grand vignoble, il put revenir au pays en rapportant quelques ceps de vigne qui, plantés en bonne terre vaudoise, prospérèrent et devinrent par la suite ce vignoble qui constitue une des plus belles richesses des rives du Léman.
Cette légende laisse entendre que l'introduction de la culture de la vigne, dans notre pays, est extrêmement ancienne. Dans un article publié en 1917 dans la «Revue d'histoire ecclésiastique suisse », et intitulé : «Un rôle de cens pour le Chapitre de Lausanne en l'an mille », M. Maxime Reymond, archiviste cantonal, citant les propriétés que possédait le Chapitre hors de Lausanne en l'an mille, dit entre autres:
«Des champs et des prés que possédait le Chapitre à Vevey, nous n'avons rien à dire. Il en est autrement des trente et une vignes. Elles sont dites dominicales, ce qui s'entend qu'elles demeurent le bien propre du Chapitre qui ne fait que les louer. Ces vignes se trouvent un peu partout autour de Vevey; près de l'église Saint Martin en Chaponières, à Hauteville et jusqu'à Blonay; à gauche jusqu'à Chardonne, à droite jusqu'en Creydelles. Ainsi donc, en l'an mille, la vigne s'étalait déjà sur tout le coteau, et nous sommes en présence de la plus ancienne mention authentique de cette culture au bord du Léman.»
Voilà une très précieuse indication. Nous savons d'autre part, pertinemment, qu'au XII° siècle, en 1134, Gui de Marlanie, évêque de Lausanne, fonda près d'Oron un monastère appelé Abbaye de Haut-Crêt, couvent de l'ordre de Cîteaux) laquelle Abbaye possédait de nombreuses terres sur les bords du Léman, dons de hauts personnages, entre autres de Humbert II, comte de Savoie, qui céda au couvent de grands terrains du côté de Chillon et Villeneuve.
Les religieux de l'époque - ceux du Chapitre de Lausanne sûrement aussi s'intéressaient particulièrement à la culture de la vigne; et ce sont, assure-t-on, ceux de Haut-Crêt qui, en 1141, plantèrent les premières vignes de Lavaux, au Dézaley. Connaissant les laborieux et patients efforts qu'exigeait cette culture, ils soutenaient et encourageaient leurs braves vignerons, exemple qui fut suivi par d'autres propriétaires de vignes.
Nous savons aussi qu'à la fin du XI° siècle, Philippe, comte de Savoie s'intéressa à l'extension du vignoble, facilitant les Savoyards qu'il engageait à venir s'installer dans notre région, leur accordant des franchises et des terres cultivables.
Ainsi on constatait, en ce temps déjà si lointain, de la part de hauts personnages, le désir de s'intéresser au sort du travailleur de la terre plantée de ceps. Sans posséder des données plus certaines, on peut cependant. envisager que, par la suite, ces personnages, ,auxquels se sont joints d'autres propriétaires, ont agi solidairement aux fins d'encourager et de développer la culture de la plante à Noé.
L'idée, alors, a logiquement surgi de rassembler ces travailleurs et de les récompenser selon leurs mérites.
De quand datent les premières de ces réunions et quand s'organisèrent-elles de façon régulière et réglementée ? Sur ces points-là nous ne serons jamais exactement fixés. Mais, si un incendie détruisit, en 1688, plusieurs documents officiels conservés dans un bâtiment du Bourg-Franc, à Vevey, il subsiste un registre datant de 1647 et prouvant qu'à cette époque il existait une «Abbaye de l'Agriculture dite de Saint-Urbain », dont le but était précisément de s'intéresser au développement de la culture de la vigne, et au travailleur qui y voue ses efforts et ses soins.
Libre cours est laissé à l'imagination pour remplir l'espace entre le XII° et le XVII° siècle. Au cours de ces cinq siècles, il s'est sans doute créé des groupements régionaux intéressés à la culture du vignoble. Un de ces groupements est devenu l' « Abbaye dite de Saint-Urbain ».
Les inscriptions minutées dans le vénérable registre de 1647 démontrent qu'en ce temps-là l'Abbaye veveysanne était en pleine activité; par conséquent sa fondation est sûrement bien antérieure à 1647.
Plusieurs auteurs envisagent que le nom Saint Urbain semble montrer que l'Abbaye existait avant l'établissement de la Réforme, soit avant 1536, car il est improbable que les fondateurs se fussent mis sous le patronage d'un saint après l'introduction de la Réforme. C'est très plausible.
Ce qui vient encore à l'appui de cette opinion, c'est qu'en février 1789, le Seigneur Bailli demanda au Conseil de l'Abbaye un rapport touchant l'origine, les sanctions et l'utilité de cette Confrérie.
Or, il fut dressé un «Mémoire» d'où nous extrayons ce qui suit : «L'origine de celle Confrérie paroit être de la plus haute antiquité. Quoique la Réformation ait abbatû toutes les images des Saints, elle a conservé Saint-Urbain, son Patron, qu'elle porte encore en procession, chaque fois qu'elle fait sa parade.»
Sans chercher plus longtemps à découvrir la date exacte de la naissance de l'Abbaye dite de Saint-Urbain », contentons-nous de savoir qu'elle existait tout au début du XVII° siècle.
Et, comme preuve irréfutable de ce que nous avançons, citons l'existence d'une coupe de Bacchus, offerte sans doute par un membre de l'Abbaye, et qui porte, au fond, gravés sur une plaque d'argent, ces mots: « Gaspard Rot, 1618 ». Les noms de ceux qui présidèrent aux destinées de l'Abbaye furent, par la suite, gravés sur une petite médaille suspendue aux bords de la dite coupe. Celle-ci, noble relique, apparaît régulièrement aux cérémonies officielles de la Confrérie.