48. Le Léman : "le Maître Elément" (1/2)

In « Bulletins du Sauveteur » N°18/avril 2001, N°19/novembre 2001 et N°20/avril 2002)
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1. Edouard Guillon et Gustave Bettex, dans une monographie vieille aujourd'hui de près de soixante-dix ans, mais toujours actuelle, remarquent que J.-J. Rousseau n'a pas découvert le Léman, car avant lui Voltaire, Gibbon et d'autres en avaient habité les bords. "Mais il en a fait un des lieux sacrés de la littérature et de la poésie; et le succès de la Nouvelle-Héloïse y poussa de nombreux pèlerins qui vinrent y évoquer le souvenir de Julie et de Saint-Preux".
Cette vogue se soutint jusqu'à la Révolution. La guerre, à l'articulation du XVIIIe et du XIXS, interrompit les pèlerinages. En fait de voyages, on ne connut que ceux de Napoléon qui traversait l'Europe avec ses armées victorieuses; c'était alors du tourisme militaire! Mais quand se taisait le fracas de l'artillerie, on pouvait entendre une voix sur les bords du Léman; c'était celle de Madame de Staël.
Après 1815, le Léman retrouva toute sa faveur. C'était l'époque, en effet, où la littérature, sous l'influence de Rousseau et de Chateaubriand, comme sous l'influence de la poésie allemande et des lakistes anglais, cherchait dans la nature même, devant les montagnes et auprès des lacs, des sources nouvelles d'inspiration. Or, à quel pays, plus qu'à la Suisse, demander ces nobles émotions? Et dans la Suisse même, à quelle région plus qu'à celle du Léman, déjà si riche en souvenirs littéraires? Aussi, le mouvement des voyageurs, commencé avant la Révolution, repris depuis 1815, s'est poursuivi avec une activité redoublée par la facilité sans cesse croissante des relations et par le progrès de la culture générale.
De quel œil ces voyageurs ont-ils vu le Léman ? De quel ton en ont-ils parlé ? Pour répondre à ces questions, il faut faire revivre et parler, après Rousseau, créateur en quelque sorte du Léman littéraire, Voltaire qui habita tour à tour Genève, Lausanne et Ferney; l'historien anglais Gibbon, qui passa la meilleure partie de sa vie à Lausanne; Madame de Staël, au milieu de ses amis de Coppet, l'étrange Senancour, en quête de solitude pour son Obermann; les deux grands poètes anglais Byron et Shelley, liés d'amitié sur les bords du lac, où les avait jadis précédé Milton, et faisaient ensemble le tour du Léman; Lamartine fuyant la France aux Cent jours et goûtant les harmonies du lac, à Nernier; Chateaubriand, séjournant à Genève avec sa femme, recueillant à Bex le dernier soupir de Mme de Custine, et visitant Coppet avec Mme Récamier; d'illustres voyageurs comme Alexandre Dumas, Victor Hugo et plus tard Flaubert, Charles Dickens et Tolstoï; Edgar Quinet, grave et digne dans le silence de Veytaux, où le retenait l'exil; et d'autres encore, comme cette impératrice errante dont le souvenir et l'image survivent à Territet.
Mais les beautés du lac ont été célébrées par les riverains eux-mêmes. Après les impressions des étrangers, celles des enfants du pays qui, pour avoir eu moins de retentissement dans la grande littérature n'en ont été ni moins sincères, ni moins dignes d'être recueillies. C'est ainsi qu'après les noms fameux cités plus haut, on retiendra les noms plus modestes du doyen Bridel, des frères Juste et Urbain Olivier, d'Eugène Rambert, de Tôpffer et d'autres plus récents. De Rousseau à l'impératrice Elisabeth, et de Bridel à Monnier et à Vallette, ce sera parcourir les bords du Léman en bonne compagnie.