05. La pêche professionnelle au Léman (2/5)


2. Le 14 novembre 1804, l'administration française fixe les règles d'une nouvelle organisation de pêche. Celle-ci sera reprise par l'administration sarde et restera en application, pratiquement sans modification jusqu'en 1864. Désormais, la rive savoyarde du lac Léman doit se soumettre à un droit de pêche morcelé en cinq cantonnements et adjugé à la chaleur des enchères et à l'extinction des feux. En d'autres termes, toute personne désireuse de pratiquer la pêche au filet se voit interdire la porte du Léman. Les fermiers ou adjudicataires deviennent les maîtres absolus de la pêche, rien d'étonnant alors que les conflits surgissent, nombreux et graves. Le 29 septembre 1849, le fermier de la pêche Jean-Baptiste Bruchon, en ramenant son poisson, est assassiné. Les coupables resteront inconnus mais la rumeur publique accuse formellement les pêcheurs.
Les raisons du comportement agressif des pêcheurs n'intéressent guère l'administration : ce sont en grande partie des gens sans fortune, des contrebandiers, des personnes en un mot qui se font un mérite d'enfreindre la loi. Un portrait de pêcheur, encore d'actualité dans les années 1980, car elle correspond bien à la réalité de la région du Chablais, traditionnellement rurale, où la terre et la propriété revêtent une grande importance. Les pêcheurs dénués de toute possession passent pour les parias du lac, des marginaux.
Pendant des générations, le paysage de la pêche n'a pas évolué: les techniques n'ont pas changé et l'organisation reste toujours calquée sur le moule féodal. Et puis curieusement, la période 1880-1890 voit sortir la pêche de son immobilisme ancestral. Le permis personnel, déjà en usage en Suisse depuis 1870, est enfin introduit en Savoie au 1° janvier 1884. Il remplace l'affermage, dernier souvenir de l'époque féodale.
Du côté technique, dès 1882, à Meillerie, les canots en forme viennent côtoyer les traditionnelles «naus» à fond plat. Construits par Jules Chevaley et Ducret, ils ne constituent pas, de prime abord, une concurrence bien dangereuse pour la nau qui ne coûte pas cher et dont la construction est simple. De plus, facile à échouer, elle convient particulièrement à la pêche au grand filet grâce à sa faible résistance au déplacement latéral. Pourtant, dès le début du XX° siècle, elle est abandonnée au profit du canot, plus facile à mener à la rame, plus performant à la voile. De plus, les facilités d'échouage sont dorénavant secondaires grâce à la construction d'appontements et de ports sur le Léman. Mais c'est surtout le succès rapide du pic aux dépens du grand filet qui s'avère l'argument majeur.